Une
grande écrivaine de la première moitié du vingtième siècle.
La
citation suivante provient du journal de Virginia Woolf que son mari
et ami Léonard Woolf, a fait publier après son suicide en 1941. Il
écrit ceci : « J'ai
lu attentivement les vingt-six volumes du Journal de Virginia Woolf
et j'en ai extrait, pour ce volume, tout ce qui relève de son
travail d'écrivain. »
(4ème de couverture de la présente édition 10/18, octobre 2000).
L'extrait
choisi se situe le vendredi 8 avril 1921 à "onze heures moins
dix". Virginia Woolf écrit pour elle-même, pour « exercer
les muscles de (sa) main ». Elle est claire et simple, elle
écrit comme elle pense, au fil des idées.
Ce
Journal est précieux pour approfondir et connaître les choix, les
divagations, les jugements littéraires, les rencontres, les étapes
de la construction des romans de Virginia Woolf.
« Je
devrais être en train d'écrire La
Chambre de Jacob,
et je n'y arrive pas. Et comme ce journal est une vieille confidente
pleine de bienveillance et au visage neutre, je vais essayer de
définir la raison pour laquelle je n'y arrive pas. La vérité,
voyez-vous, c'est qu'en fait d'écrivain, je suis une ratée. Je suis
démodée, vieille, incapable d'aucun progrès, obtuse. Le printemps
est partout, et mon livre est sorti (prématurément) et tué dans
l'oeuf. Un pétard mouillé. La vérité, pour en venir au fait
matériel et tangible, c'est que Ralph a envoyé au Times pour la
critique sans préciser la date de publication. Résultat, ils ont
bâclé une courte notice « pour lundi soir au plus tard »
qu'on a glissé dans un recoin obscur, notice plutôt succincte,
suffisamment élogieuse mais parfaitement inintelligente. Je veux
dire qu'ils ne voient pas que je suis en quête de quelque chose
d'intéressant. C'est cela qui me fait supposer que je ne le suis
pas. Voilà pourquoi je n'arrive pas à continuer Jacob.
Oh, et puis le livre de Lytton est sorti, et on lui consacre trois
colonnes. D'éloges je suppose. Je ne prends pas la peine de mettre
tout cela en ordre, ni de dire comment le découragement m'a gagnée,
si bien que pendant une demi-heure j'ai été plus déprimée que
jamais. C'est-à-dire que j'étais décidée à ne plus jamais
écrire, sauf des critiques. Et voilà que pour retourner le fer dans
la plaie il y eut une joyeuse réunion au 41 pour fêter Lytton, ce
qui était tout à fait naturel, mais pas une seule fois on n'a fait
allusion à mon livre, qu'il devait pourtant avoir lu. Et, pour la
première fois, je ne peux pas compter sur son approbation. Si
seulement j'avais été qualifiée de « mystère » ou
d' « énigme » par le Times
Literary Supplement,
cela me serait égal, car ce genre de choses ne serait pas pour
plaire à Lytton, à moins que je ne sois une quantité négligeable.
Oui,
il faut tout de même regarder en face cette question des éloges et
de la renommée. (J'oublie de dire que Doran a refusé mon livre pour
l'Amérique). Qu'apporte la popularité ? J'ajoute (après avoir
été interrompue par Lottie qui m'a apporté mon lait, et maintenant
que le soleil a cessé de s'éclipser) que j'ai clairement conscience
d'écrire pas mal d'absurdités. Ce qu'il faut, Roger l'a dit très
justement hier, c'est rester actuel ; que les gens s'intéressent
à vous et vous suivent dans votre travail. Ce qui me déprime, c'est
l'idée d'avoir cessé d’intéresser les gens au moment même où,
soutenue par la presse, je croyais m'affirmer davantage. Ce n'est pas
que je souhaite avoir une réputation bien établie, comme celle à
laquelle je commençais à atteindre, je crois : celle d'être
l'une de nos meilleures romancières. Il faut encore, naturellement,
que je rassemble toutes les critiques particulières, et c'est cela
qui constitue la véritable épreuve. Quand j'aurais bien pesé cela,
je serai en mesure de dire si je suis « intéressante »
ou démodée. En tout cas je me sens suffisamment vivante pour
m'arrêter si je parais démodée. Je ne veux pas devenir une
machine, ou alors une machine à moudre des articles. Et tandis que
j'écris, je sens monter quelque part dans ma tête cette étrange et
très agréable impression que j'ai envie d'écrire, d'exprimer mon
propre point de vue. Je me demande toutefois si mon sentiment
d'écrire pour une demi-douzaine de personnes au lieu de quinze cents
pervertira cette impression – me rendra excentrique. Non, je ne
crois pas. Mais, comme je l'ai dit, je dois regarder en face cette
méprisable vanité qui est à l'origine de tout ce tatillonnage, de
tous ces barguignages. Je crois que le seul remède pour moi est
d'avoir mille autres sujets d'intérêts, et si l'un se trouve lésé,
de laisser aussitôt mon énergie se déverser sur le russe, le grec,
ou les journaux, ou mon jardin, ou les gens, ou n'importe quelle
activité étrangère à mes romans. »
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